Par Simone Toussi
Le paysage médiatique de la Guinée compte plus de 70 médias, y compris les médias en ligne, la radio, la télévision et la presse écrite. Pourtant, le pays ne se classe pas très bien sur les indices internationaux de la liberté de la presse – il est classé 107e sur 180 pays dans l’indice mondial de la liberté de la presse 2019. Néanmoins, sa pénétration croissante d’internet passée de 0,4% en 2010 à 33% en 2018, est favorable à la libre circulation de l’information sur les plateformes en ligne telles que les blogs et les réseaux sociaux. Avec une croissance aussi rapide des utilisateurs, – de 42 000 utilisateurs en 2010 à quatre millions d’utilisateurs en 2019 – l’internet devient rapidement le principal mode d’accès à l’information pour la grande partie de la population guinéenne. Cependant, les contrôles autoritaires exercés par le gouvernement sur les médias traditionnels s’étendent à la sphère de la presse en ligne, comme en témoignent une série d’arrestations et de détentions arbitraires, associées à la persécution et au harcèlement judiciaire des journalistes et des blogueurs.
Une persécution continue des journalistes et des médias
En août 2019, le gouvernement guinéen a placé sous contrôle judiciaire deux journalistes, l’animateur d’une émission de Lynx FM Souleymane Diallo et le PDG et journaliste de Lynx FM, Boubacar Alghassimou Diallo. Les deux hommes ont été accusés de “complicité dans la diffusion de données susceptibles de troubler la sécurité publique”. Les allégations proviennent d’une émission de radio interactive, au cours de laquelle un auditeur a accusé un haut cadre du gouvernement guinéen d’avoir détourné des primes militaires liées à une mission dans le Nord du Mali. Sous contrôle judiciaire, il est interdit aux deux journalistes de voyager en dehors de la capitale guinéenne, Conakry, sans l’autorisation d’un juré. Ils ne sont également pas autorisés à animer l’émission de radio en question jusqu’à nouvel ordre et doivent comparaître devant le tribunal trois fois par semaine. Au cours du même mois, plusieurs associations de presse ont manifesté contre la répression exercée sur les médias par l’Etat.
Plus tôt en mars 2019, Lansana Camara, journaliste à conakrylive.info, a été convoqué pour «diffamation par voie de presse» à la suite d’une plainte du Ministère des Affaires étrangères et des Guinéens de l’étranger. Ce journaliste a été placé en garde à vue pendant une semaine sur des allégations de publication d’un article portant atteinte au gouvernement guinéen. L’article (supprimé après son arrestation) fait état d’un détournement présumé de deux milliards de francs guinéens (GNF), équivalant à 215 700 dollars américains (USD), qui avaient été inscrits au budget pour le carburant dudit département ministériel.
Martine Condé, Présidente de la Haute Autorité de la Communication (HAC) – l’observateur et régulateur national indépendant des médias constitué en vertu de la loi N ° L / 2010/002 / CNT / du 22 juin 2010 – a dénoncé l’incarcération du journaliste Lansana Camara comme une violation flagrante de la loi sur la liberté de la presse. Une riposte similaire pour la violation de la liberté de la presse a été émise par l’Association Guinéenne de la Presse en Ligne (AGUIPEL) en juin 2018 après l’arrestation et la détention de Mamadou Saliou Diallo, fondateur de Nouvelledeguinee.com, sur des accusations de «diffamation et calomnie» suite à une plainte du ministre de la Justice, Cheick Sako.
Cependant, la HAC ne semble pas toujours agir dans l’intérêt de la liberté de la presse, car elle a décidé en 2017, de suspendre pendant sept jours une station de radio privée, Espace FM, l’accusant de diffuser «des informations susceptibles de porter atteinte à la sécurité de la Nation, au moral des forces armées et à l’ordre public». Cette décision de la HAC était en application des articles 39 et 40 de la loi N ° L / 2010/002 / CNT / du 22 juin 2010 relative à la liberté de la presse qui prévoit ceci : «La Haute Autorité de la Communication exerce un droit de contrôle général sur les secteurs public, privé et les médias communautaires […]. Lorsque les dispositions de la loi sur la communication ne sont pas respectées, [elle] peut prendre les mesures suivantes: avertissement, mise en demeure, suspension, retrait définitif. » La même année, une dizaine de journalistes agressés par des forces de l’ordre, rapporte avoir subi la destruction de leurs équipements de travail et la torture.
Plus tôt en 2016, la presse guinéenne s’est vue ébranlée par l’assassinat d’El Hadj Mohamed Diallo, journaliste au site d’information Guinee7.com, lors d’un rassemblement politique du principal parti d’opposition guinéen, l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG). À ce jour, l’affaire n’est toujours pas résolue, malgré les enquêtes.
Un cadre législatif inadéquat et bafoué
La Constitution guinéenne garantit le droit à la liberté d’expression, d’opinion, de croyance et de pensée, ainsi que la liberté de la presse comme étant inviolables, inaliénables et imprescriptibles. Elle garantit également le droit d’accès à l’information publique. Selon l’article 7, chacun est libre « d’exprimer, de manifester, de diffuser ses idées et ses opinions par la parole, l’écriture et l’image, […] de s’instruire et de s’informer à partir de sources accessibles à tous. La liberté de la presse est garantie et protégée. La création d’une presse ou d’un média d’information politique, économique, sociale, culturelle, sportive, récréative ou scientifique est gratuite. Le droit d’accès à l’information publique est garanti au citoyen. » Cependant, un certain nombre de lois et de politiques portent atteinte à ces droits et libertés garantis par la Constitution.
La loi organique N ° 002/22/06/2010 sur la liberté de la presse promulguée en 2010, fixe les conditions de la liberté de la presse et de la création d’une presse libre et indépendante en Guinée. L’article 1 garantit explicitement la liberté de «la presse écrite, la presse en ligne, l’édition, l’impression, la librairie, l’audiovisuel, la photographie, le cinéma et toutes les autres formes de communication ». Les infractions commises par la presse ou par tout autre moyen de communication sont décrites aux articles 98 à 122. Les seules sanctions prévues par la loi, en cas de condamnation, sont le paiement d’une amende (le maximum étant de 20 millions GNF, équivalent à 2200 USD), et la suspension ou le retrait d’une licence de média, avec possibilité de recours devant la Cour Suprême.
Aucune disposition de cette loi ne prévoit l’emprisonnement éventuel de journalistes. Par exemple, la loi stipule que «la diffamation, par l’un des moyens énoncés à l’article 98, envers les cours, les tribunaux, les corps militaires et paramilitaires, les corps constitués et les administrations publiques, est punie d’une amende de 1 000 000 GNF à 5 000 000 GNF (108-540 USD). ”
Cependant, la loi sur la presse et le Code pénal (1998) entrent en conflit pour certains délits de presse. L’article 99 de la loi sur la presse prévoit que l’incitation au vol, au meurtre, au pillage et aux atteintes à la sécurité de l’État, est une infraction punie d’une amende ; et si l’incitation est suivie d’effet, « les auteurs sont punis comme complices » conformément aux articles 271 et 273 du Code pénal. L’article 271 du Code pénal prévoit des peines de prison allant de 10 à 20 ans tandis que l’article 273 prévoit des peines d’emprisonnement de 16 jours à six mois, une amende de 50 000 à 100 000 GNF ((5,5 USD à 10,9 USD) ou les deux. Notamment, ni la loi sur la presse ni le code pénal ne sont cités lors des poursuites judiciaires à l’encontre des journalistes et des blogueurs. Au lieu de cela, les autorités se basent sur la loi sur la cybersécurité et la protection des données personnelles.
La loi n ° 037 sur la cybersécurité et la protection des données personnelles a été adoptée en juillet 2016, « pour définir les règles et mécanismes visant à lutter contre la cybercriminalité et créer ainsi un environnement favorable, propice et sécuritaire dans le cyberespace». Cependant, elle est critiquée comme une menace pour la démocratie et les droits numériques des citoyens Guinéens car elle légitime la censure en ligne et semble criminaliser les lanceurs d’alertes. En effet, c’est cette loi, et non la loi sur la presse, qui est actuellement utilisée pour persécuter les journalistes. Selon Mohamed Traoré, ancien président de l’Association du barreau guinéen, la loi sur la cybersécurité est « inapplicable » car elle n’a pas été enregistrée et publiée au Journal officiel de la Guinée.
Entre-temps, le projet de loi sur l’accès à l’information publique a été approuvé par le Conseil des ministres le 26 juillet 2019, mais aucune autre mesure n’a été prise depuis lors. L’absence d’un cadre d’accès à l’information a un impact négatif sur le journalisme, la transparence et la gouvernance responsable. L’adoption du projet de loi faciliterait la mise en place de sources d’information fiables aussi bien pour le journalisme d’investigation que pour la recherche, et améliorerait la participation civique.
Quelle voie pour une presse libre en Guinée?
La loi sur la liberté de la presse et le délit de presse en Guinée reflète la volonté politique de garantir des médias libres, indépendants et pluralistes dans le pays. De plus, la pénétration croissante de l’internet a facilité la diversité médiatique. Cependant, les actes de répression et d’intimidation persistants à l’encontre des journalistes et des blogueurs méprisent entièrement les dispositions de la loi sur la liberté de la presse qui dépénalise les délits de presse, et les critiques en ligne restent exposés à des sanctions sévères émanant de la loi sur la cybersécurité. En outre, l’insuffisance actuelle du cadre juridique de soutien et la stagnation du projet de loi sur l’accès à l’information publique limitent la contribution des médias à la gouvernance démocratique. Pour assurer le déploiement d’un environnement propice à la liberté d’expression en Guinée, il est impératif que le gouvernement adopte un cadre juridique adéquat et garantisse son application à tous les niveaux.