Dictateurs et restrictions : cinq dimensions des coupures d’Internet en Afrique

Nouveau Rapport |
Au cours des quatre dernières années, pas moins 22 gouvernements africains ont ordonné des coupures du réseau Internet. Depuis le début de l’année 2019, six pays africains dont l’Algérie, la République Démocratique du Congo (RDC), le Tchad, le Gabon, le Soudan et le Zimbabwe ont déjà connu des coupures d’Internet.
Un nouveau rapport produit par le CIPESA (The Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa) intitulé «Dictateurs et restrictions : cinq dimensions des coupures d’Internet en Afrique» souligne cependant que ces coupures d’Internet sont exclusivement opérées par les Etats les plus despotiques d’Afrique.
Selon ce rapport, 77% des pays où les coupures d’Internet ont été opérées au cours des cinq dernières années sont classés comme autoritaires sur l’indice de démocratie produit par le service de renseignement économique de l’Economist (Economist Intelligence Unit). Hormis ceux-là, tous les autres pays africains qui ont procédé aux coupures de services de communications sont classés dans la catégorie des régimes hybrides, ce qui signifie qu’ils ont certains éléments de démocratie combinés à de fortes doses d’autoritarisme.
Les régimes autoritaires qui ont ordonné des coupures du réseau sont l’Algérie, le Burundi, la République Centrafricaine (RCA), le Cameroun, le Tchad, la RDC, le Congo (Brazzaville), l’Egypte, la Guinée équatoriale, le Gabon, l’Ethiopie, la Libye, la Mauritanie, le Niger, le Togo, le Soudan, et le Zimbabwe. Les régimes hybrides qui ont procédé à des coupures d’Internet comprennent la Gambie, le Mali, le Maroc, la Sierra Léone et l’Ouganda.
Quant aux pays classés comme autoritaires mais qui n’ont pas effectué de telles coupures, le rapport indique qu’il est probable que «l’Etat autoritaire soit si brutal et terrifiant  que la société civile ou tout mouvement d’opposition ou de protestation – en ligne et hors ligne- soit étouffé dans l’œuf » ou alors que «les mesures de surveillance d’Internet en place rendent toute coupure inutile». Ces pays comprennent Djibouti, l’Erythrée et le Rwanda.
Le rapport note également que les pays dont les dirigeants sont au pouvoir depuis plusieurs années sont plus enclins à ordonner des coupures d’Internet. En janvier 2019, 79% des 14 dirigeants africains qui avaient été au pouvoir depuis 13 ans ou plus avaient ordonné des coupures, principalement pendant les  périodes électorales et les protestations publiques contre des politiques gouvernementales.
Il s’agit notamment de Teodoro Obiang Nguema en Guinée équatoriale (39 ans); de Paul Biya au Cameroun (36); de Denis Sassou Nguesso au Congo Brazaville (34); de Yoweri Museveni en Ouganda (33); d’Omar El Bashir au Soudan (30); d’Idriss Déby au Tchad (29); d’Abdelaziz Bouteflika en Algérie (19); de Mohamed Ould Abdel Aziz en Mauritanie (19); de Joseph Kabila en RDC (17); de Faure Gnassingbé au Togo (15); et de Pierre Nkurunziza au Burundi (13).

Selon ce rapport, l’année 2019 pourrait connaitre un nombre record de coupures du réseau, car au moins 20 Etats africains tiendront diverses formes d’élections, qu’elles soient locales, législatives, générales ou présidentielles.
Au fil des ans, de nombreuses perturbations du réseau se sont généralement produites dans les pays africains autocratiques autour de périodes électorales, et parmi les Etats qui ont prévu la tenue d’élections durant cette année, certains avaient déjà effectué diverses formes de coupures au cours de périodes électorales précédentes (comme la Guinée équatoriale), de manifestations publiques (Cameroun, Togo) ou à l’occasion d’examens scolaires nationaux (Algérie, Ethiopie).
Autres faits saillants du rapport «Dictateurs et restrictions : cinq dimensions des coupures d’Internet en Afrique» :
Le rapport note que les gouvernements qui ordonnent des coupures et les fournisseurs de services Internet (FSI) qui les mettent en œuvre, assument de plus en plus ouvertement ces actions. Les gouvernements se justifient en disant que les technologies numériques sont de plus en plus utilisées pour diffuser de fausses informations, propager des discours de haine et, prétendument, pour attiser le désordre public et compromettre la sécurité nationale.
De leur côté, de plus en plus de FSIs et d’opérateurs de plateformes de communication rendent publiques leurs réponses aux injonctions de coupure, aux requêtes reçues pour fournir des données personnelles des utilisateurs et aux demandes d’interception émanant des gouvernements grâce aux rapports de transparence. Une telle évolution pourrait conduire à une banalisation des coupures. Comme conséquence, un nombre croissant de gouvernements n’auraient plus honte d’assumer ouvertement les ordres de coupure. Des éléments positifs sont à noter cependant, dans la mesure où cela pourrait servir de base pour l’ouverture d’un procès ou faire avancer le plaidoyer.
Le rapport réaffirme que les coupures d’Internet, même de courte durée, affectent de nombreux pans de l’économie nationale et que leurs impacts persistent bien au-delà des périodes durant lesquelles l’accès a été perturbé. «Même si seuls cinq des pays qui ont déjà coupé l’accès à Internet et qui tiendront des élections refont ce genre d’action durant l’année en cours, notamment la limitation d’accès aux applications telles que Twitter, Facebook et WhatsApp au niveau national pendant cinq jours chacun, le rapport estime que les pertes économiques s’élèveraient à plus de 65,6 millions de dollars américains».
En outre, le rapport note que certains pays qui coupent l’accès à Internet ont des taux d’utilisation d’Internet les plus bas, et des coûts de paquets de données les plus élevés d’Afrique. La logique  pourrait suggérer que les pays à faible consommation d’Internet soient les moins enclins à couper l’accès à Internet, du fait que la population en ligne soit trop insignifiante pour menacer «l’ordre public» ou «la sécurité nationale», ou même constituer une entrave sérieuse contre le pouvoir en place. Paradoxalement, le rapport trouve que les gouvernements africains les moins démocratiques, indépendamment du nombre de leurs citoyens qui utilisent internet, craignent la capacité de cet outil à renforcer la participation citoyenne et le franc-parler des citoyens ordinaires face au pouvoir.
Ce rapport peut être téléchargé sur CIPESA.
 

Forum sur la liberté de l'internet en Afrique 2017 : Notre première participation

Par Ababacar Diop |
Pour la première participation de Jonction au Forum sur la liberté de l’internet en Afrique (#FIFAfrica17) nous avons été ravi par la qualité de l’espace d’échange et de partage qui nous a été offert.
Organisé annuellement par the Collaboration on International ICT Policy for East and Soutier Arica (CIPESA) depuis 2014 à Kampala en Ouganda, et pour cette année 2017 en partenariat avec the Association for Progressive Communications (APC), à Johannesburg, le forum, s’est concentré sur plusieurs thématiques notamment la protection de la vie privée, l’accès à l’information, la libre expression, la non-discrimination et la libre circulation de l’information en ligne.
Des panélistes de haut niveau nous ont offert l’opportunité d’en apprendre davantage sur les enjeux et défis actuels de la société de l’information et de celui des droits numériques. Des interventions de qualités nous ont permis d’apprendre encore plus des expériences et des bonnes pratiques qui se développent en Afrique.
Nous témoignons, ce forum est un formidable  espace de partage et d’échange d’expérience et de bonnes pratiques. Il permet en outre le renforcement des capacités des acteurs de la société de l’information et des défenseurs des droits numériques. La diversité linguistique en plus de la diversité géographique et de genre des participants constituent un vrai charme et une richesse intellectuelle du forum.
Nous avons appris à travers le forum que le réseautage est fondamental dans la défense des droits numériques. Les acteurs de la société de l’information ont besoin de collaborer et de travailler en synergie pour faire progresser les libertés sur internet, protéger davantage les données personnelles et le droit à la vie privée en ligne, faire face aux menaces qui pèsent sur la liberté d’expression sur internet partout en Afrique et lutter contre les coupures administratives d’internet pour des raisons politiques.
En effet, la présence de divers acteurs d’horizon divers a enrichi les panels et les discussions. Chacun exprimant ses préoccupations, ses expériences et ses objectifs pour une meilleure défense des droits et libertés sur internet. Tant les représentants de gouvernement que ceux de la société civile et du secteur privé chacun dans sa sphère d’activité s’est librement exprimé.
Nous avons également mesuré durant le forum toute l’importance de soutenir la recherche sur l’état de la liberté sur internet. En illustre le moment très fort lors du lancement du rapport annuel de recherche sur l’état de l’Internet en Afrique. Ce fut un intense moment de réflexion sur l’état de la liberté sur internet en Afrique. Ce rapport présentant l’état des lieux de la liberté sur internet en Afrique est si nécessaire pour les acteurs de la société civile africaine pour soutenir et documenter le plaidoyer et la sensibilisation.
Nous avons également appris que la réussite de tout forum repose sur le dynamisme et l’engagement des organisateurs. Nous félicitons ici les organisateurs et organisatrices qui n’ont ménagé aucun effort pour rendre agréable et studieux notre séjour. Toutes nos félicitations au comité d’organisation.
A la lumière de ce qui précède, nous lançons un appel à tous les bailleurs de renforcer leur soutien au Forum sur la liberté de l’internet en Afrique pour une plus grande participation des diverses régions de l’Afrique. La tenue annuelle du forum est d’une importance capitale pour les acteurs africain du Net. Un tel espace de rencontre, d’échange et de mise en réseau est nécessaire pour faire progresser le respect des droits numériques dans notre continent.
Nous lançons également un appel à tous les acteurs de travailler en synergie afin de mener la pression sur nos gouvernements pour le respect de la liberté d’expression sur internet et le respect du droit d’accès à l’information qui sont des piliers nécessaires à toute société démocratique qui aspire au développement économique, social et culturel. L’émergence de nos pays passe nécessairement par le respect des droits numériques.
L’Afrique a besoin de ce forum, l’Afrique doit soutenir le Forum sur la liberté de l’internet en Afrique.
Initialement publié sur le site de Jonction